Dès le départ, le Dadaïsme était un mouvement artistique difficile à cerner. Ses poètes du cabaret Voltaire faisaient des poèmes en un langage d’onomatopées, se déguisaient avec des masques bizarres, et créaient des cacophonies de bruits inhabituels comme des klaxons. Ils étaient pourtant des artistes très politisés (Dachy, p.153). Essentiellement, crée d’étrangers allemands, français ou roumains qui fuyaient la guerre, les artistes du cabaret Voltaire croyaient que les politiciens étaient pareils partout, de viles têtes carrées. Ils croyaient que des mouvements artistiques tels l’expressionnisme allemand et l’impressionnisme français apportaient des sentiments nationalistes et qu’ainsi ils avaient servi à pousser les bourgeois à la guerre (Lynton, p.124). Leur ligne de pensée va donc vers en sens, ils veulent s’opposer à l’art et l’éliminer pour arrêter la guerre et l’influence des bourgeois assoiffés de pouvoir. Dans leurs slogans distribués partout dans Berlin, ces artistes énonçaient clairement leur volonté de détruire le monde des idées bourgeoises (Huelsenbeck in Chipp, p.376-377). Ainsi, cette idée de détruire l’art et de le politiser en même temps fait partie de la pensée marginale dadaïste. Par contre, comme avec le Futurisme de Marinetti, il faut vérifier si les idées des artistes promues correspondent bien à ce qu’ils ont fait. Je vais donc choisir trois œuvres de provenance allemande et chercher à voir si les thèmes qu’ils abordent font bien référence à la pensée dadaïste. C'est-à-dire si leur objectif est bien marginal aux arts et attaque ce qui est tenu pour sacré dans la civilisation occidentale ou à quel degré ces objectifs sont atteints.
Dans la pensée dadaïste, tout ce qui est relié aux abus de la bourgeoisie est renié. La guerre et tous ceux qui la font sont perçus comme destructeurs. Le capitalisme et les chaînes de montage sont aliénants pour les prolétaires. Même l’industrialisation est vue comme une arme d’exploitation des riches sur les pauvres. Ceci est évidemment une pensée nouvelle puisqu’en Allemagne on percevait le capitalisme comme étant bénéfique et qu’il fallait s’y rallier pour sortir l’Allemagne de son état catastrophique. Le dessin de George Grozs intitulé ‘At Five in the Morning’ nous présente une image de l’opposition des classes sociales qui se trouve en Allemagne pendant les années 20. Grozs situe trois hommes de la bourgeoisie en train de faire la fête à cinq heures du matin accompagnées de ce qui semble être des prostituées. À la façon dont Grosz dessine ces individus, avec leurs visages distortionés dans de complexions inhumaines de plaisirs et de mesquinerie, d’abus de substance et pourris par la vie mondaine. C’est une façon tout à fait controversée et peu répandue de présenter la classe dirigeante avec autant de dédain. La présence de ces deux femmes est emblématique puisqu’elles révèlent à quel stade méprisant ces personnages sont tombés. Il est clair qu’abuser d’alcool et de prostituées n’est pas une attitude exemplaire pour la classe dirigeante. C’est à ce moment que l’on voit la haine de l’humanité qu’habite Grozs (Lynton, p.140). Par opposition, dans la partie supérieure du dessin nous retrouvons les travailleurs de tous les jours, les prolétaires qui doivent partir à cinq heures du matin pour réussir à amener quelque chose à leurs familles. On peut comparer le luxe dans lequel vivent les individus au bas de l’image, dans des grands salons, avec des beaux vêtements, de somptueux canapés, des bouteilles d’alcool et la possibilité de se payer de la compagnie alors que les prolétaires du haut sont tout habillés avec des vêtements rapiécés et vivants dans des milieux sales et polluants. Ce dessin, remis dans son contexte est inhabituel puisqu’il était rare pour un artiste de contredire et insulter la bourgeoisie comme cela. De plus, il semble largement soutenir la classe travaillante et se porter à leur secours. Il démontre et critique les oppositions qui se retrouvent à l’intérieur même de l’Allemagne du début des années 20 et critique l’état dans lequel se retrouvent les choses. Il se moque d’une certaine façon comic-tragique de la manière dont abuse la bourgeoisie de ses privilèges alors que les pauvres doivent en subir les conséquences. Les dadaïstes de Berlin avaient de fortes opinions politiques et furent les premiers à critiquer ouvertement leur société non seulement pour choquer comme les futuristes, mais pour vraiment mener une opposition politique. Il n’est donc pas étrange que Grozs et d’autres membres dadas se soient joints au parti communiste pour s’opposer à la classe bourgeoise. Cette œuvre démontre la pensée dadaïste puisque l’artiste se considère plus comme un travailleur quelconque qu’un artiste. Comme le dit Huelsenbeck lui-même, « l’Art était là il y avait des artistes et des bourgeois. Il fallait aimer l’un et haïr l’autre » (Huelsenbeck in Chipp, p.380).
En 1925, Hitler écrit son livre ‘Mein Kampf’ (mon combat) dans lequel il propose l’idée de la race arienne et de la purification de l’Allemagne des autres peuples. Ce singulier personnage voulait créer une Allemagne unifiée, non seulement politiquement, mais aussi de façon ethnique. Pour lui, l’homme et la femme allemande devaient être grands, blonds et aux yeux bleus. En 1930, peu de temps avant qu’Hitler devienne chancelier de l’Allemagne, Hanna Hoch crée une œuvre particulièrement controversée. Elle s’intitule ‘Deutsches Madchen’ (Fille allemande). Ce n’est pourtant pas une jeune fille blonde aux yeux bleus qu’elle nous présente, mais une fille disproportionnée aux yeux bridés avec des cheveux noirs et un nez aplati. Cette image nous fait immédiatement penser à une fille d’origine asiatique, tout le contraire de ce que nous proposait Hitler. Cette contradiction aux idées du Reich à l’intérieur d’une œuvre artistique n’était pas quelque chose de commun puisque la grande majorité était contrôlée pour éviter l’opposition. Hoch s’oppose aux visions proposées par l’Allemagne de Hitler, car elle mènerait à la xénophobie et au racisme contre les homosexuels, les français, les juifs, les noirs et autres. C’est une véritable attaque au nationalisme allemande que de ridiculiser ses idéaux et tout ce dont auxquels ils sont attachés. Cette œuvre est également marginale puisque bien que le collage ne soit pas nouveau, le collage d’éléments hétéroclites pour former un ensemble cohérent à but politique est quelque innovant. Hoch s’oppose aux notions de race et d’ethnie qui sont si chère pour les partisans du nationalisme allemand. Également, a petite fille allemande va contre les notions de proportion qui sont essentielles pour l’art du début du XIXe et XX siècle. On peut remarquer que les yeux ne sont pas de mêmes proportions ni placés aux mêmes endroits. Le front et l’emplacement des cheveux sont également décalés. En somme, l’œuvre aborde le thème de la beauté avec une approche beaucoup plus spirituelle que les nationalistes allemands puisqu’elle s’intéresse à l’intérieur de l’individu. Alors que les nationalistes allemands se fixaient sur l’apparence et la beauté extérieure, Hoch parle de l’importance de la beauté intérieure. Pour elle, ce n’est pas important de quoi à l’air sa petite fille allemande ou quelles sont ses racines, car à l’intérieur d’elle-même elle reste allemande.
L’art dada, dans sa ligne de pensée, s’opposait à tout art du passé, car il déclarait qu’il avait aidé lors de la guerre. Notamment, le futurisme de Marinetti déclarait être pour la guerre et le voyait comme la seule façon de purifier l’homme (Marinetti in Chipp, p. 286). Aussi l’expressionnisme allemand des artistes du Die Brucke donnait un sentiment nationaliste aux Allemands et servait essentiellement la classe bourgeoise. Pour les dadaïstes qui s’opposaient à la guerre, ils devaient faire table rase avec l’art du passé et ainsi ne devenir rien pour atteindre un stade de paix et d’indifférence (Tzara in Chipp, p. 386). Idéalement, l’art n’existerait plus, elle ne serait plus jamais ce qu’elle avait été, un moyen d’expression sacré au profit de la bourgeoisie. Dans l’œuvre de Heartfield intitulé ‘The Meaning of the Hitler Salute’ on perçoit cette volonté d’abandonner des techniques du passé et se distancier de la peinture bourgeoise (Lynton, p.139). Heartfiled utilise du photomontage pour passer son message. Tout d’abord, il faut savoir que son œuvre est très dada puisqu’elle visait à atteindre le maximum d’individus et non seulement restreindre l’art pour les bourgeois et ceux qui pouvaient se payer l’Art par des moyens économiques. Il va faire imprimer son œuvre en 20000 exemplaires dans des magazines ou sous forme de feuillets pour les faire distribuer à tous, les riches comme les pauvres. Heartfield qui avait changé son nom de Helmut Herzfeld à John Heartfield pour montrer son opposition aux guerres allemandes lors de la Première Guerre mondiale décida d’utiliser le photomontage, car il n’était pas régulièrement utilisé par les mouvements précédents. De plus, cette technique donnait une impression beaucoup plus réelle à cause de la réalité apparente de ses constituants et passait son message plus effectivement dans la population puisque ce sont des découpages de magazines et des photos super imposées. En somme, la réalité des images augmentait la crédibilité du message (Lynton, p.137-138). Dans son œuvre, Heartfield critique l’idéologie politique dominante en montrant son dirigeant suprême comme étant une personne corrompue et manipulable par l’argent. Également, il critique la bourgeoisie comme un monstre de corruption et de contrôle politique se cachant derrière des figures. Comme l’avait fait Grozs, Heartfield critique ouvertement la classe dominante de supercherie et d’abus du pouvoir. Enfin, cette œuvre utilise une technique sporadique en art qui constitue à d’utiliser des mots pour rehausser l’impact de son image et ainsi faire de la véritable propagande politique.
En conclusion, tous ces artistes dadas avaient un désir de changer les choses. La guerre les avait dégoûtés et ils voulaient donc rompre avec elle en la ridiculisant et la dénigrant. Bien que chaque membre s’exprime de différentes façons, que ce soir par la peinture, la sculpture, le dessin, le photomontage, ils avaient tous un désir de reformer le monde (Lynton, p.134). C’est dans ce désir de réforme qu’ils se retrouvèrent donc en contre de leur propre culture et dans une position de marginaux de l’art et de la politique. Les œuvres de Hoch, Grozs et de Heartfield représentent assez bien cette pensée dadaïste d’opposition à l’art, à la politique et à leur propre culture.
Bibliographie
Chipp, Herschel B., Theories of Modern Art. Berkeley, Los Angeles, London: University of California Press [c.1968] 1966.
Dachy, Marc, The Dada Movement, 1915-1923, Geneva:Skira; New York: Rizzoli, 1990
Lynton, Norbert, The Story of Modern Art. Ithaca, New York: Phaidon, Cornell University Press, [c. 1980] 1994.
No comments:
Post a Comment